( Unfinished meditative rumblings, after a stay at a friend’s place, on the coast)
Trébuchant parmi les grosses pierres du jardin, il s’enfonça dans l’obscurité en tirant avec un plaisir coupable sur sa cigarette. Soudain du coin de l’oeil il se rendit compte que le rideau des étoiles semblait plus proche que d’habitude. C’était l’absence de lumières humaines, combiné à la pleine mer à cent mètres devant lui qui donnait cet effet: une impression d’être près des forces de la nature. Le Scorpion semblait dégringoler vers l’horizon, son grand corps dégringandé se cassant en deux alors qu’il trempait ses pinces dans l’horizon marin, dans une fuite précipitée devant l’arrivée prochaine d’Orion et de ses molosses – les deux constellations ne partagaient jamais le ciel, le Scorpion et Orion ayant été ennemis dans leur “vie” de personnages légendaires. Il se félicita, comme il le faisait souvent en regardant le ciel étoilé, de la justesse qu’avaient eu les anciens à regrouper les étoiles en amas imaginaires, dont le tracé était supposé représenter un monstre ou un héros de légende : cet arbitraire des lignes, et l’incroyable distance qui nous sépare des étoiles, ne nous renvoyaient ils justement pas à l’essence même du personnage mythologique, ce sombre guerrier dont la légende, une rumeur devenue grondement puis vague écho, nous parvenait par delà le gouffre des siècles. Et puis quel bonheur que les Anciens aient pris soin de remplir le ciel de leurs Hercules et de leurs Lyres ! N’avaient ils pris cette précaution, nous aurions eu droit, dans notre ciel moderne, à la Bouteille de Coca, ou à Reagan…déjà les explorateurs européens de l’Age des Conquêtes avaient jeté parmi le firmament du Sud l’affreuse Pompe à Eau et la Boussole…
Les lumières jumelles d’un cargo au loin traversaient lentement ce qui devait être l’horizon, tout au loin. Impossible de s’imaginer des humains sur cette mer noire, se dit-il – l’odeur forte de l’iode, et les embruns dans l’air lui disaient qu’il approchait d’un monde qui n’était pas fait pour les hommes. A gauche, les lumières de Flic en Flac brillaient de leur éclat un peu vulgaire, comme une bijou en or plaqué dans un somptueux écrin de velours . Un peu plus loin, il crut discerner la grosse masse de la Tourelle du Tamarin et, sans doute parce qu’il regardait du coté du couchant, il pensa soudain au Jardin des Hespérides, situé selon la légende aux confins de l’Occident. C’était là bas qu’Hercule était parti cueillir les pommes dorées
veillées par un dragon. Curieuse ressemblance au mythe du Jardin d’Eden, se dit-il, et il se mit à songer aux cartes d’autrefois, où, sur les confins de l’Inde et de Cathay, se trouvait le dessin d’un pommier. “Le Paradis Terrestre” disait la carte menteuse et belle. Mais un paradis, c’était d’abord un beau verger, une nature ordonnée, et une carte aussi, c’était donner un sens au monde, le rendre lisible. D’où le besoin de constellations.
Rendre le monde lisible, et désirable aussi. On raconte qu’un jour Zeus, Père du Ciel, voulut s’unir à Chtonos, déesse des abîmes terriens. Mais Chtonos est invisible, alors , afin de pouvoir voir son corps, Zeus fit tisser pour elle un voile magnifique, sur lequel figuraient toutes les créatures,et tous les pays de la terre, et il jeta le voile sur elle. Dessiner une baie, les contours d’un royaume, c’est éveiller le désir: il existe une pornographie des frontières – cette fièvre qui devait bruler dans les veines de Gengis Khan, et de Cortez. Il existe aussi, heureusement, un simple désir de flirt. Il pensa aux pays qu’il voulait visiter – l’Inde, qui trempait délicatement ses pieds dans l’Océan Indien, comme une nymphe près d’un ruisseau, les pays Balkaniques, compliqués, sanglants, chaleureux, avec leurs contours bizarres, tourmentés ( la Slovénie surtout, l’attirait, ce petit pays douillet et montagneux, et la Croatie, cet incroyable pays filiforme aux baies magnifiques) , et puis à ceux qui le rebutaient un peu, les Etats Unis, trop grands, comme les Américaines elles mêmes, ou l’Amérique du Sud, qui semblait tourner le dos au monde entier pour méditer sur ses fractures raciales et sociales.
Le cargo était arrivé au large de Tamarin et tournait maintenant vers le Sud Ouest, prenant la direction qui l’amènerait vers le Cap de Bonne Espérance. Ses feux de proue n’était déjà plus visibles. L’entreprise humaine semblait si futile, dans cette obscurité ! Comme un hanneton qui se promenait dans une grande salle sombre et vide. Pourtant, pour les hommes à bord, ce devait être le temps du repos après la chaleur du jour. Qu’ils devaient être braves, ou fous, ceux qui , les premiers, se sont aventurés loin des côtes !
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